Page:Gill - Le Cap Éternité, 1919.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

uences, il en convenait volontiers et, sans ironie, nous estimait très heureux de posséder tant de sagesse ! ― cette grâce-là lui ayant été refusée. Pour le reste, il était envers ses faiblesses un juge extrêmement sévère ; l’hypocrisie lui répugnant, il montrait une tendance singulière à se déprécier de crainte qu’on exagérât ses mérites. Plusieurs qui l’ont critiqué ne se doutaient pas de ses nombreuses et fortes qualités.

Il aimait dire des vers. Par les sombres après-midi d’automne et d’hiver, que de claires minutes n’avons-nous pas vécues en compagnie de Lamartine, son maître préféré de toujours ! Une petite édition de Jocelyn, qu’il avait habillé du plus beau cuir, ne le quittait jamais. Il pleurait sans fausse honte en déclamant les strophes harmonieuses et spiritualistes. À part Lamartine, ― dont l’influence court par toute l’œuvre de Gill ― il admirait surtout les poètes célèbres lors de son séjour à Paris, Verlaine et Leconte de Lisle qu’il avait connus. Le bon Coppée le touchait aussi ; il se plaisait à le défendre. Quand il prononçait un de ces noms, sa radieuse jeunesse lui revenait au cœur !

Homme d’une rare beauté plastique négligeant sa toilette, — les taches d’encre et de peinture ne se limitaient pas à ses doigts ; bohême incorrigible, sans aucune notion de l’heure — il oubliait souvent de remonter sa montre ― ni de l’ordre, — une aimable confusion lui agréait davantage ; généreux jusqu’à n’en pouvoir ensuite payer son terme ; confrère loyal et désintéressé, fier de sa profession d’artiste qu’il était dangereux de méconnaître, car c’était mésestimer en lui l’entière confrérie ; applaudissant, de ses deux mains charitables, aux succès des camarades peintres ou poètes ; la tête remplie de beaux projets, le cœur débordant de rêves