Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est qu’il doit y avoir là, dit Ernest, quelque femme d’une laideur paradoxale.

— Si elles cherchent quatre maris, dit Georges, je les plains ; si elles sont mariées, je plains les quatre maris.

Pendant que ma société folle était à la poursuite du laid idéal, enfoui dans l’arrière-loge de droite, j’éprouvai, moi, un saisissement de cœur inexplicable. Ma folie cessa tout à coup de se mettre à l’unisson de ce quatuor en délire. Une tristesse vague humecta mes yeux.

Je fis un retour sur moi-même, et il me sembla que j’étais tombé dans une association de malfaiteurs des deux sexes.

C’est l’explication que je donnai à cet accès de mélancolie subite. Heureusement la musique vint fort à propos me distraire. Le chœur chantait l’hymne à Bacchus, merveille antique trouvée par Mendelsohn dans les ruines du temple de la Victoire-sans-ailes.

Le spectacle terminé, je proposai timidement à ma société de laisser écouler la foule et de sortir après les derniers ; mais nos statues grecques, qui se complaisaient à l’idée d’une descente triomphale, se récrièrent contre ma proposition. Il fallut céder.

La statue brune s’empara despotiquement de mon bras et m’entraîna vers l’escalier. Il me semblait qu’un froid lézard m’enlaçait. Je fus saisi de ce frisson que le contact des reptiles donne aux gens nerveux.

Je me rappelai ce jour désastreux, où j’abordai après un naufrage l’île d’Éaeï-Namove, et où je fus obligé d’épouser Dai-Natha, la fille du roi, pour m’épargner la douleur d’être mangé vif par les ministres de son père.

Sur l’escalier de l’Odéon, je regrettai Dai-Natha.

Au milieu de la foule compacte qui obstruait le vomitoire, un cri violemment arraché par l’effroi frappa mon oreille et fit descendre et monter, en une seconde, mon sang de la tête aux pieds.