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Dans le plus effroyable concert de la foudre, des torrents, des tempêtes, des bêtes fauves, je reconnaîtrais le cri d’une femme aimée, et beaucoup sont comme moi. Il y a une merveilleuse perception d’ouïe qui nous vient d’un sixième sens, le sens de l’amour.

Irène de Châteaudun avait jeté ce cri.

Prenez garde, ma chère ! s’était-elle écriée, avec cet accent que l’effroi ne permet pas de dissimuler, avec cet accent qui est obligé d’être naturel, malgré toute la réserve imposée dans certaines circonstances : Prenez garde, ma chère !

C’était un servant de théâtre qui soulevait un lourd panneau de porte postiche et qui avait heurté l’épaule d’une femme. Ceux qui avaient vu la chose la racontaient ainsi. Moi, j’avais aperçu, en me dressant sur la pointe des pieds, le panneau de porte balancé sur les têtes ; je n’avais pu voir la femme qui avait poussé le cri, mais j’avais vu avec mes oreilles aussi clairement qu’avec mes yeux Irène de Châteaudun.

Tant que la barrière insurmontable de la foule maîtrisa mes mouvements, il me fut impossible de m’avancer dans la direction où le cri s’était fait entendre ; mais, arrivé au premier degré de l’extérieur, je me dégageai du bras importun qui serrait le mien, et je m’élançai sur la place et dans la rue de l’Odéon avec une agilité folle, traversant au vol les groupes et les doubles haies de voitures, dévorant du regard tous les visages de femmes, pour découvrir Irène, et ne m’inquiétant point des propos railleurs que cet examen rapide m’attirait de toutes parts.

Peine perdue ! Je ne découvris rien. Le théâtre garda son secret ; mais le cri retentissait toujours au fond de mon cœur, et mon cœur le reconnaissait toujours.

Ce matin, à mon lever, j’ai couru à l’hôtel de Langeac. Le portier m’a regardé stupidement, et a répondu par un