Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/15

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qu’elle épiait son signal pour s’allumer et pour s’éteindre… Je ne la voyais qu’à travers l’épais feuillage des arbres. Un grand jardin, planté de peupliers, de pins et de sycomores, séparait la maison où je m’étais réfugiée de la haute maison dont la dernière fenêtre chaque soir s’illuminait pour moi. Comme je n’ai jamais pu parvenir à m’orienter nulle part, je ne savais pas dans quelle rue était cette maison, ni de quel côté donnait sa façade ; je ne savais donc pas non plus qui l’habitait ; n’importe, cette lumière était pour moi une amie : elle parlait à mes yeux un langage sympathique ; elle me disait : Courage, tu n’es pas seule à souffrir à cette heure ; derrière ces arbres et sous ces étoiles, il y a là aussi, en face de toi, quelqu’un qui veille, qui travaille, qui rêve… Et quand la nuit était majestueuse et belle, quand la lune s’élevait solennellement dans l’azur, comme une rayonnante hostie que l’invisible main de Dieu offrait à l’adoration des fidèles qui prient, qui gémissent et meurent la nuit ; quand ces splendeurs toujours nouvelles éblouissaient mon esprit troublé ; quand je me sentais saisie de cette poignante admiration des cœurs solitaires, qui leur fait trouver presque une douleur dans une joie sans aide et sans partage… il me semblait qu’une voix chérie venait m’assister dans cette trop violente admiration et me criait avec enthousiasme : N’est-ce pas que cette nuit est belle, et qu’il est doux de pouvoir ensemble l’admirer ?

Quand le rossignol, trompé par le silence de ce quartier désert, attiré par ces noirs ombrages, venait se faire Parisien pendant quelques jours et rajeunir de ses chants printaniers les vieux échos de la cité, il me semblait encore que la même voix venait m’avertir et me disait tout bas, à travers les feuilles tremblantes : Il chante ! viens donc l’écouter !