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Châteaudun, il y a trois mois ; elle l’a refusé. Apparemment tout s’est arrangé.

Ou bien c’était une ruse ; le beau Léon avait une maîtresse fort connue de tout le monde, excepté de lui, et il a reculé ce mariage pour dorer, par le procédé Ruolz, les derniers jours de son célibat. Alors, on a donné toute liberté à mademoiselle Irène, et, dans cette trêve, j’ai joué le rôle de prétendant.

L’une de ces deux conjectures est juste. Toutes deux sont vraies peut-être. Une seule suffit à une catastrophe.

Un fait certain, le voici : le beau Léon est aux eaux d’Ems ; il s’y réjouit, avec sa maîtresse peinte, dans l’agonie de son célibat, et sa famille emprisonne mademoiselle de Châteaudun au manoir de Lorgeval pendant la saison des eaux. Dans quelques jours, le beau Léon, prétextant une affaire importante, quittera sa maîtresse, et, libre d’un joug illégitime, il viendra au château de Lorgeval offrir son innocente main et son pur hommage à mademoiselle de Châteaudun.

Dans tous les cas, je suis dupe, je suis joué.

Je sais qu’ils disent : Le prince Roger est un bon enfant. On peut tout oser.

Avec cette réputation, un homme est exposé à subir toutes les malices félines du genre humain griffé ; puis, le bon enfant se transfigure, et les visages palissent autour de lui.

Oui, je puis pardonner à une femme qui a été ma maîtresse de me tromper, mais je ne pardonne point à la femme qui m’échappe avant le bonheur : elle me doit tout ce bonheur qu’elle m’a fait rêver. J’ai le droit de crier au voleur, et de l’arrêter, si elle me fuit. Ah ! mademoiselle de Châteaudun, vous avez cru pouvoir briser mon cœur, et me laisser pour tout partage le fantôme du souvenir. Eh bien ! je vous promets un beau dénouement ! Nous nous reverrons !

Et moi stupide ! j’allais lui écrire pour me justifier de mon innocence dans la scène de l’Odéon ! Justification