Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/238

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quelque expression un peu sévère et qui vous blesse dans une de vos affections les plus tendres, je vous prie de ne vous en prendre qu’au sérieux intérêt que vous avez su m’inspirer pour une personne que je ne connais pas. Madame, le cas est grave, et pour peu qu’elle se prolonge, la comédie qui se joue au bénéfice de je ne sais quelle vanité pourrait bien avoir le dénoûment d’un drame ou d’une tragédie. Que mademoiselle de Châteaudun sache vite qu’il y va de son repos et de sa destinée tout entière. Pour user de votre influence, vous n’avez pas un jour, pas une heure, pas un instant à perdre. Je ne réponds de rien ; hâtez-vous. Votre position, votre esprit avancé, votre haute raison vous donnent nécessairement sur mademoiselle de Châteaudun l’autorité d’une sœur aimée ou d’une mère ; servez-vous-en pour sauver cette jeune imprudente. Si c’est un caprice, rien ne le justifie ; si c’est un jeu, il est cruel, et la ruine est au bout ; si c’est une épreuve, elle a trop duré. J’ai suivi M. de Monbert à Rouen ; je vis avec lui, je l’observe : c’est un lion blessé. N’ayant jamais eu l’honneur de me rencontrer avec mademoiselle de Châteaudun, je ne puis décider si le prince est le cœur qu’il lui faut. Mademoiselle de Châteaudun seule peut être juge dans une question si délicate. Mais ce que j’affirme, c’est que M. de Monbert n’est point un homme de qui l’on puisse se jouer impunément, et que, quel que soit l’arrêt qu’ait à prononcer mademoiselle de Châteaudun, il est de son devoir et de sa dignité de ne pas le faire plus longtemps attendre. Si elle doit frapper, qu’elle frappe, et ne se montre pas plus impitoyable que le bourreau, qui, lui du moins, ne laisse pas languir sa victime. M. de Monbert ne serait pas ce qu’il est, un gentilhomme dans la plus belle acception du mot, qu’il aurait droit encore à toutes sortes de ménagements, s’il est vrai que toute douleur sincère soit digne de pitié, et tout amour vrai respectable. Qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas là un de ces faciles amours nés dans l’atmosphère du monde parisien, et qui