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mais non vaincu par la fatigue. L’insomnie brûlante assiégeait mon chevet, et je n’avais pas la chère petite lumière pour me sourire et me consoler. Je n’entendais plus comme autrefois une voix caressante me crier à travers les arbres du jardin : Courage, ami ! je veille et je souffre avec toi. Cependant, une nuit je vis l’étoile poindre et scintiller. Quoique je n’eusse plus le cœur à ces chimères, je retrouvai, en l’apercevant, un mouvement de jeunesse et de joie. Comme autrefois, je restai longtemps à la contempler. Était-ce la même que j’avais vue, pendant deux ans, s’allumer et s’éteindre régulièrement aux mêmes heures ? Il était permis d’en douter, mais je n’en doutai pas un instant, parce qu’il me plaisait de le croire. Je me sentis moins isolé, et repris presque confiance en découvrant que mon étoile ne m’avait point abandonné. Je lui dis tout bas mon martyre, puis je lui demandai : D’où viens-tu ? As-tu souffert aussi ! M’as-tu un peu regretté dans l’absence ? Et, comme autrefois, je croyais l’entendre qui me répondait dans le silence de la nuit. Je m’endormis vers le matin, et je vis en rêve, comme à travers une cage en verre, Louise veillant et travaillant dans une chambre pauvre comme la mienne, à la lueur du bien-aimé rayon. Elle était pâle et triste, et de loin en loin s’interrompait de son travail pour regarder la clarté de ma lampe. Quand je me réveillai, il faisait grand jour : je sortis pour tuer le temps.

Je rencontrai sur le boulevard un ancien ami de mon père, esprit fin et délicat, intelligence cultivée, cœur affectueux. Il arrivait de nos montagnes, où il avait hâte déjà de retourner, car c’est là qu’il a caché sa vie. Mon air abattu et l’altération de mes traits le frappèrent. Il tourna autour de mon cœur et s’y prit si bien qu’il finit par mettre le doigt sur mon mal. — Que faites-vous ici ? me dit-il : c’est un endroit malsain pour la douleur. Revenez dans nos campagnes. Le pays natal vous fera du bien. Partez avec moi ; je vous réponds que vos chagrins ne tiendront pas contre le parfum de nos genêts et de nos