Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bruyères. Puis il me parla de mes devoirs avec une tendre gravité. Il ne me cacha pas qu’avec ma fortune, et dans la position où m’avait laissé mon père, je me devais au coin de terre où j’étais né ; que jusqu’à présent je l’avais trop négligé peut-être, et que l’heure était enfin venue de m’occuper sérieusement de ses besoins et de ses intérêts. Bref, il me fit rougir de mes jours inutiles, et me retrempa, d’une main douce et ferme, à la source des réalités. À la tombée de la nuit, je rentrai chez moi, non pas consolé, mais plus fort, et décidé à partir dès le lendemain pour regagner les bords de la Creuse. Je n’espérais pas y guérir, mais il me souriait de mêler la pensée de Louise à tous les bienfaits que je pourrais rendre et de faire bénir le nom que j’aurais voulu lui offrir.

En rentrant, je remarquai tout d’abord que mon petit phare jetait un éclat inaccoutumé. C’était, non plus un filet de lumière glissant timidement à travers le feuillage, mais toute une croisée de mansarde, dont les vitres éclairées se dessinaient et s’encadraient dans l’ombre. À force de chercher à me rendre compte de ce phénomène, je découvris qu’on avait, durant la journée, abattu les arbres du jardin, et, en plongeant un regard dans les ténèbres, j’aperçus, couché tout de son long, le cadavre du pin qui m’avait caché, pendant deux ans, la chambre où chaque nuit brillait la clarté fraternelle. Ainsi, je ne partirais pas sans avoir vu ait moins une fois les traits de l’être mystérieux qui, probablement à son insu, avait préoccupé ma pensée inquiète. Je ne pus m’empêcher de sourire avec tristesse en songeant au désenchantement qui m’attendait peut-être le lendemain à mon réveil. Je fis défiler devant moi le cortége des figures qui pouvaient m’apparaître à cette fenêtre, et, comme le plaisant et le bouffon se mêlent presque toujours à toutes les situations de la vie, j’avoue que j’en arrivai à me poser cette question étourdissante : — Si ça allait être lady Penock ?

Je dormis peu et me levai au retour de l’aube. J’étais