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dire pour vous faire éclater ; il me dit ce matin : « Il faut que j’aille chez mon sellier pour faire réparer ma voiture de voyage. » Je lui dis : « J’en ai une neuve, je vais l’envoyer chercher. » Au bout d’une heure, on amena cette voiture, là, dans la cour. Il reconnut, avec des rires fous, la voiture de lady Penock.

— Quoi ! vous connaissez lady Penock ? Êtes-vous, par hasard, ce jeune audacieux qui la poursuit et qui l’a forcée à me vendre cette voiture ? — Oui, c’était moi ! — Ah ! quelle bonne gaieté ! c’était lui le héros de lady Penock, c’était lui la petite lumière, c’était lui le blessé, lui, le mari qu’on me destinait. Ah ! j’en perds l’esprit ; et nous partirons dans cette voiture. Ah ! lady Penock, pardonnez-lui !

Irène de Châteaudun.


XXXIII


À MONSIEUR
MONSIEUR LE PRINCE DE MONBERT
POSTE RESTANTE, À ROUEN.


Paris, 11 août 18…

Me voilà à Paris, sombre, inoccupé, ne sachant que jeter dans le vide de mon âme, mécontent de m’être manqué de parole, ridicule à mes yeux dans mon amour et dans mon désespoir. Je n’ai jamais été si triste, si mal heureux, si abattu. Mes journées et mes nuits se passent dans d’éternelles récriminations contre moi-même ; je revise une par une toutes mes actions, toutes mes paroles ; je fais le procès à ma conduite vis-à-vis de Louise Guérin. Je compose des phrases superbes que j’ai oublié de prononcer, et dont l’effet eût été irrésistible. Je me dis : « Tel jour, tu as été d’une timidité stupide à te faire railler par un collégien. Il fallait oser ; c’était le moment. Louise t’avait jeté, à la dérobée, un regard que tu n’as pas su traduire. Le soir où madame Taverneau était à Rouen, tu t’es laissé effrayer comme un sot par quelques airs superbes, par quelques vaines simagrées de vertu, dont la moin-