Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/306

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contrariait si fort tous ses projets. Edgard était donc à Paris le jour de mon mariage, et peut-être… Mais non… qui aurait pu l’avertir… Je demeurais à une lieue de la paroisse où je me suis mariée… Ce n’est pas lui… Cependant j’ai peur de cet homme… Je me souviens avec quelle amertume il me parlait de Raymond dans une lettre pleine d’injustes reproches qu’il m’a envoyée trois jours après mon départ de Richeport. Dans cette lettre, que j’ai brûlée tout de suite, il me disait que M. de Villiers devait épouser sa cousine. Oh ! la révélation de cet engagement m’a rendue bien malheureuse ! Il était rompu depuis plusieurs années ; mais M. de Meilhan le croyait encore sérieux ; il en parlait comme d’un lien qui devait le rassurer contre les prétentions de son ami à me plaire et, cependant que de malveillance dans les éloges qu’il faisait de lui, que de terreur jalouse dans son insolente sécurité ! comme il disait naïvement : Puisque je n’ai pas à le craindre, d’où vient donc que je le hais ? Aujourd’hui, je me souviens de cette haine, et elle m’épouvante. Aidé de Roger, bientôt il saura tout, il apprendra que Louise Guérin et Irène de Châteaudun ce n’est que la même personne, et tous deux, associant leur fureur, ils viendront peut-être me demander compte de mes caprices et me reprocher la duplicité de ma conduite. Pensez-vous donc que cela soit possible, Valentine ? Ne serait-il pas plaisant, dites-moi, que ces deux hommes qui ont si indignement traîné mon souvenir dans la fange, qui m’ont si indignement trahie, offensée par leurs laides infidélités, viennent hardiment me parler de leur constance et réclamer leurs droits à mon amour ? Eh ! mon Dieu, malgré l’absurdité d’une telle supposition, ils seraient vraiment bien capables de le faire : les hommes en amour ont une religion si commode, une conscience si pleine de facilités ! Sous prétexte de prétendues passions indomptables, ils s’accordent tant d’indulgence, ils se permettent sans remords tant de mensonges misérables, tant d’oublis honteux, tant de lâches