Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/65

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recueillies, où je voyais, aux premières clartés de l’aurore, l’ange de la rêverie s’abattre à mon côté, incliner son beau front vers mon front fatigué et m’envelopper de ses blanches ailes, nuits charmantes, reviendrez-vous jamais ? Si vous saviez, Edgard, quelle existence j’ai menée là durant ces deux années ! Si vous saviez, ami, quels rêves sont éclos dans ce pauvre nid, à la lueur voilée de la lampe, vous en seriez jaloux, poète ! Les journées étaient remplies par les études sérieuses. Le soir, je prenais mon repas frugal près de l’âtre en hiver, à la verte saison auprès de ma fenêtre ouverte. En décembre, j’avais des convives que bien des rois m’auraient enviés : Hugo, George Sand, de Lamartine, de Musset, vous aussi, cher Edgard. En avril, j’avais les tièdes brises, le parfum des lilas, le chant des oiseaux qui gazouillaient sous la ramée, et les cris joyeux des enfants qui jouaient dans les allées obscures, tandis que les jeunes mères passaient à travers les pousses nouvelles, la démarche lente et la bouche épanouie en un doux sourire, pareilles aux ombres heureuses qui errent aux Champs élyséens. Parfois, quand la nuit était sombre, je m’aventurais dans les rues de Paris, le chapeau rabattu, fuyant l’éclat du gaz et rasant la muraille. C’est ainsi qu’une fois je vous rencontrai. Comprenez-vous bien tout ce qu’il me fallut de courage, quand vous m’ouvrîtes vos bras, pour ne pas m’y précipiter ? Je revenais le plus souvent en longeant les quais, écoutant les rumeurs confuses, pareilles au bruit lointain de l’Océan, que fait la grande ville avant de s’endormir, prêtant l’oreille au murmure de l’eau, et regardant la lune monter lentement derrière les tours de Notre-Dame, comme un disque embrasé qui sort de la fournaise. Bien souvent aussi, j’allais rôder sous les croisées de mes amis ; bien souvent je me suis arrêté sous les vôtres, vous envoyant un adieu silencieux. De retour au gîte, je ravivais mon