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pouvoir comprendre ces puérilités. Que de prisonniers se sont ainsi pris d’affection pour quelque violier épanoui entre les barreaux de leur cage ; seulement, pareille aux belles de nuit des jardins, qui se ferment aux rayons du jour et ne s’ouvrent qu’aux baisers du soir, la fleur que j’aimais était une étoile. J’épiais son réveil d’un regard inquiet ; je ne me décidais à prendre du repos que lorsqu’elle s’était éteinte. La voyais-je pâlir et vaciller, je lui criais : « Courage et bon espoir ! Dieu bénit le travail ; il te garde un coin de ciel plus radieux et plus pur ! » Me sentais-je triste à mon tour, elle jetait une lueur plus vive, et j’écoutais une voix qui disait : « Espère, ami ! je veille et je souffre avec toi ! » Non, encore à cette heure, je ne saurais m’empêcher de croire qu’il y avait entre cette lampe et la mienne un fil électrique par où deux cœurs, faits l’un pour l’autre, communiquaient et s’entendaient entre eux. Vous pensez bien que je cherchai à découvrir, dans les rues adjacentes, la maison et la chambre d’où partait cette chère lumière ; mais chaque jour on me donnait un renseignement nouveau qui contredisait celui de la veille. Je finis par supposer que la personne qui demeurait là avait intérêt à se cacher comme moi, et je respectai son secret.

Ainsi coulait ma vie. Tant de bonheur dura trop peu ! Les dieux et les déesses de l’Olympe avaient une messagère, nommée Iris, qui portait leurs billets doux d’un bout à l’autre du monde. Nous autres mortels, nous avons à notre usage une fée qui laisse Iris bien loin derrière elle. Cette fée s’appelle la poste. Habitez la cime du Tchamalouri, vous y verrez un beau matin arriver un facteur avec sa boîte en sautoir, et une lettre à votre adresse. Un soir, en rentrant d’une de ces excursions dont je vous parlais tout à l’heure, je trouvai, chez mon portier, une lettre qui m’était adressée. Je n’ai jamais revu de lettres