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choisissez le mensonge qu’il vous plaira, mais cachez-lui toujours l’intention que vous avez eue de l’éprouver. — Vous ajoutez : Il vous aime, lui, et jamais il ne vous pardonnera de l’avoir fait souffrir inutilement : un amour digne et fier ne pardonne jamais la mauvaise plaisanterie d’une épreuve.

Que dois-je faire alors ? Trouver un mensonge, mais tous les mensonges sont stupides, et, d’ailleurs, il faudra le lui écrire ; moi, je ne m’engage pas à mentir en face… Avec des indifférents et des inconnus, on peut encore s’en tirer ; mais avec un jeune homme qui vous aime, qui contemple vos traits tout le temps que vous lui parlez, qui cherche vos regards et qui les comprend, qui observe votre rougeur et qui l’admire, qui connaît toutes les inflexions de votre voix comme un pianiste connaît toutes les notes de son clavier, mentez donc un peu ; c’est commode ; un regard embarrassé… un sourire contraint… un son faux… et le voilà sur ses gardes ; il devine tout, et, vous-même, vous l’aidez à tout deviner. À la première question qu’il vous adresse, le bel édifice de vos mensonges s’écroule, et vous retombez en pleine vérité. Valentine, je mentirai pour vous obéir, mais je mentirai à distance ; je sens le besoin de mettre plusieurs stations et plusieurs départements entre ma brutale franchise et les gens qu’il me faut tromper.

Pourquoi me grondez-vous si fort ? Vous devez bien penser que je n’ai pas agi légèrement ; ma conduite n’est étrange, fantasque et mystérieuse que pour Roger ; pour tout le monde elle est très-convenable. On croit que je suis aux environs de Fontainebleau, avec la duchesse de Langeac, chez sa fille, et comme la pauvre jeune femme, qui est très-souffrante, ne voit personne, ne reçoit personne, je peux disparaître un moment de chez elle sans qu’on le remarque, sans que cela soit un événement dans