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le pays. J’ai dit à ma cousine une partie de la vérité. Elle comprend mes hésitations, mes scrupules ; elle trouve assez naturel que je veuille réfléchir quelque temps avant de m’engager à jamais ; elle sait que je suis chez une de mes anciennes amies ; je lui ai promis d’aller la chercher dans quinze jours, elle n’a pas la moindre inquiétude. « Ma chère enfant, si vous vous décidez à vous marier, je reviendrai avec vous à Paris, sinon je vous emmène avec ma fille aux eaux d’Aix. » Voilà ce qu’elle m’a dit quand nous nous sommes quittées. J’ajoute, moi, que lorsqu’on va aux eaux d’Aix, on est très-capable d’aller savoir des nouvelles des amies que l’on a dans le département de l’Isère.

Vous me reprochez aussi de n’avoir pas raconté à Roger tous mes chagrins, de lui avoir dérobé ce que vous appelez flatteusement les plus belles pages de ma vie… Ô Valentine ! comme en cela je suis plus savante que vous, malgré votre expérience de mère de famille, malgré votre haute sagesse. Sans doute vous connaissez mieux que moi la vie sérieuse, mais moi, je connais mieux que vous le monde des frivolités ; et je vous le dis : aux yeux des élégants de ce monde-là, le courage n’est pas une séduction chez les femmes. Ces esprits, faussement délicats, préféreront cent fois une petite maîtresse gémissante et suppliante, racontant à tous ses malheurs, parée de jolis chiffons bien coquets qui survivent à sa fortune, entourée obstinément d’un luxe coupable qu’elle ne peut maintenir qu’au prix de sa dignité, à une noble créature qui affronte bravement la misère et se fait humble par fierté ; qui refuse les dons de ceux qu’elle méprise, et calme, forte, indépendante, arrose silencieusement de ses larmes un pain laborieux. Croyez-moi, les hommes de ce monde-là aiment mieux les femmes qu’il faut plaindre que celles qu’il faut admirer. Un grand courage dans une grande adversité,