Page:Girardin - La Canne de M. de Balzac.djvu/133

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core dans l’âge d’or des sentiments ; ceux qu’elle éprouvait n’étaient pas encore nommés. Son cœur avait toujours été si occupé, si affairé, qu’il n’avait jamais eu le temps d’analyser, de baptiser ses impressions. Sa mère, toujours souffrante, avait accaparé toutes ses pensées jusqu’à l’âge de seize ans qu’on l’avait mariée ; puis les enfants étaient venus si vite, si nombreux, qu’elle n’avait pas eu le temps de s’apercevoir qu’elle n’aimait pas du tout son mari. Elle l’aimait, sans doute, parce qu’il était bon et qu’il l’aidait à soigner sa mère, mais elle n’éprouvait point d’amour ; et puis l’amour, elle n’y avait jamais songé. Elle ne pensait pas — elle vivait ; son cœur était très-sensible, mais son imagination était endormie. Elle aimait ses enfants, parce qu’elle était leur mère ; mais elle ne s’était jamais dit : « L’amour maternel est la passion de ma vie. » De même, lorsqu’elle donnait à sa mère des soins si éclairés, si touchants, elle ne se disait point : « La piété filiale occupe tous mes jours. » Elle ne faisait état de rien. Quand sa mère avait ses accès de goutte, elle passait