Page:Giraudoux - Adorable Clio.djvu/115

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alors, autour de la ville gelée, on entend gronder les torrents. Un faux rayon apparaît, et une ombre livide, leur dernière ombre allemande, court et meurt aux pieds des Alsaciens. Puis un vrai rayon, étincelant, se pose sur un seul Savernois, le choisit dans la foule, le désigne comme le plus heureux. Il rit, il flamboie…

Parfois une famille m’arrête, tire de sa poche des portraits, des médailles, me les explique. C’est qu’elle n’habite pas sur la grande rue, c’est qu’elle n’a pas de vitrine pour se déclarer au passage. Heureux ces boutiquiers qui possèdent tout un magasin pour étaler leur âme même : ces cordonniers, qui affichent leur diplôme français de sauvetage, et le portrait du sauvé ; ces épiciers qui encadrent leur acte de naissance de deux gravures où l’on voit le même zouave lutter contre Abd-el-Kader — qui à droite va tuer le zouave, qui à gauche pâlit, succombe ; — ces fruitiers, qui ont monté de la cave cinq bustes de Napoléon, les