Page:Giraudoux - Adorable Clio.djvu/149

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Soudain tout est pénible. Les bourgs ont des noms opposés, emmêlés : Cœuvres, Ambleny. Une fois, plaisanterie du temps de paix, un poteau indicateur donne même des anagrammes : Valsery, Laversy. La pluie ruisselle. On s’essuie le visage avec des linges mouillés, on ferme l’intervalle du col, comme un soupirail, avec ce qu’on a sous la main, un journal, du foin. Nous courbons les épaules, nous halons une France encore raide d’angoisse ; nous halons, avec des arrêts, une victoire trop large dans une rivière trop étroite. Nous nous allégeons de tout ce que nous portions en surcroît, de tout ce que nous avions conquis, de sacs en peau de chèvre, de casques à pointe, de paniers d’obus, que le régiment derrière nous ramassera, puis rejettera dans une heure, et il ne nous reste plus que notre pauvre écorce française, si amincie, déjà usée. Seul Bergeot, qui fait collection de dragonnes allemandes, en porte des douzaines, de toutes couleurs, pendantes à son