Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/40

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ser quelqu’un qui ne vous embrasserait pas ; c’est l’heure des heures menues que notre hâte ne divise plus en secondes, et où la pendule bat, pour son plaisir, à la mesure de notre cœur. Et quand j’ouvre les yeux, je vois ma sœur, — ma sœur, dont je ne vous dirai jamais le nom. Et quand je ferme les yeux, des formes passent qui lui ressemblent. Puis je cesse de penser, pour mieux entendre, et c’est le bonheur. Elle cause à des êtres que je ne vois pas, à ma mère, à Urbaine, elle sourit aux glaces, et des reflets et des paroles lui répondent : puis tout se tait, excepté mon cœur ; puis le journal qu’on lit se froisse, puis le vent qui passait voit de la lumière aux fenêtres et veut entrer ; mais les brise-bise restent raides et empesés, pour lui faire croire qu’il n’y a personne. Il passe. Puis une plume écrit, s’arrête, rature, hésitante comme une pensée ou comme une souris. Puis la lampe, la lampe s’allume ; le soir, au dehors, devient subitement la nuit ; le soir d’aujourd’hui est mort, et la bonté qui est en vous devient tristesse ; les parquets luisent comme des mers profondes ; une ombre douce marche sur elles sans enfoncer, pour m’apporter, ô ma sœur, tes cheveux clairs où j’em-