Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

brouille mes doigts ; le soir est mort, et toute cette tristesse devient lassitude. Je pense alors que tu mourras ; j’éveille en moi des pensées cruelles, mais émoussées, et qui ne blessent plus. Je les aiguise sur mon âme engourdie, et j’y prends plaisir, comme j’en prenais à passer sur ma langue cette herbe râpante. La langue saigne, mais il n’y a ni plaie ni douleur, et l’on boit son propre sang comme si c’était celui d’un autre. Ne bougez pas, ne parlez pas ! Elle est debout, sur ma descente de lit ; la porte de la chambre se ferme, et la voilà isolée contre le sol, qui s’enfonce, contre les murs qui se rapprochent, et se plaisent à déformer sa silhouette, dont ils font une sorte de grand-père Voie. Mais elle allume la bougie, et l’ombre recule, se massant en cercle autour d’elle, attentive et moqueuse ; elle me fait souffler l’allumette et je m’amuse à souffler ses doigts ; la flamme les rend transparents, mon haleine les attise, et l’allumette brûle par les deux bouts, vite consumée. Le vent passe. Elle reste debout, soutenue par sa robe aux plis de marbre ; elle pense, sans se rappeler que ses yeux me regardent, mais ses paupières ne les oublient pas et reviennent à chaque instant les