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144 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

M. Henry Bidou est une œuvre tout à fait remarquable, écrite en une fort belle langue et qui témoigne d'une rare pénétration psychologique. Je serais tenté de dire que c'est trop bien. L'âme et le cerveau de ces héros sont fouillés avec tant de soin et de clairvoyance; cet amoureux sait tant de choses; il parle si finement de Plotin, de Maeterlinck, de Heine; cette coquette, sur la pente de l'amour, est analysée avec une telle pers- picacité que le lecteur, pris tout entier par l'intérêt de l'examen psychologique, risque de ne plus se passion- ner autant qu'il faudrait pour l'aventure des héros.

Elle a de quoi pourtant l'émouvoir, cai^ elle est très humaine et vraie profondément. Marie de Sainte- Heureuse, malgré l'allure monastique de son nom, est une mondaine : elle accomplit assidûment beaur coup d'actes de la vie du monde qu'elle dit pourtant avoir en horreur. Elle a rencontré René Auberive, lequel est un homme d'un caractère heureux, très intelligent, superficiel en apparence, trop doué; « on eût dit qu'il était venu à sa naissance un quarteron de fées, dont la moitié eussent mieux fait de rester chez elles ».

Hs se plaisent, et tout de suite leur flirt est consacré par le monde complaisant. René s'enflamme, il aime avec passion, avec ardeur, il souffre; Marie, « légère et molle, vive et indolente, prompte à se reprendre, mais prompte à se prêter, facile avec des résistances, fuyante avec un air d'abandon, » l'encourage et le désespère comme une coquette inconsciente qu'elle est; et puis elle se prend au jeu, elle s'avance vers René qui, sans doute, d'avoir trop attendu, est devenu plus attentif aux défauts, aux faiblesses de Marie. Et ils se mettent à souffrir l'un par l'autre, et puis, c'est enfin l'épilogue, l'épilogue nécessaire, mélancolique quand il fut trop retardé; « subissant la loi uniforme de la nature, égarés, parcourus de frissons, buvant l'an- goisse avec les baisers, ils s'aimèrent, ne s'aimant plus ».