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OCTOBRE. — LES ROMANS 309

îl « apaise » Pierre Auger qui vit heureux dans Texer- cice honnête de sa profession d'avocat, au milieu des meubles rares et des belles statues, auprès d'une épouse paisible et d'un bel enfant; qui marche avec calme en déroulant sa rêverie dont il aime la douceur. L'amour ne le déchire pas: il sait l'erreur des amants et leurs souffrances cruelles; il dédaigne les opinions des hommes qu'il sait dénuées de sens, de justice et de sin- cérité; les victoires populaires lui sont indifférentes : il poursuit l'estime des gens de bien et l'approbation de son cœur. C'est un enraciné, il demeurera à Epinal.

Ce silence, au contraire, « écrase » Marins Pilgrin, qui n'est point comme son ami, glorieux d'une vieille souche spinalienne. Fils d'un Spinalien déraciné et d'une Provençale, il sera un déraciné; il a connu les amours violentes et tendres, aux lendemains doulou- reux, et les ivresses de l'avocat épris des triomphes d'é- loquence, acharné à défendre une cause, qu'il sait mau- vaise, devant des jurés dont il veut forcer la pitié. Il a vécu les émotions de la politique, il a voulu dominer avec sa parole une foule populaire qui l'a rejeté, et, de tous ces échecs, de toutes ces déceptions, il en veut à sa ville, il en veut à la province. «La vie provinciale est lourde, enveloppante comme la nuit qui descend; la province, c'est la solitude, c'est le silence »; et sa réso- lution est prise: il va s'enfuir vers Paris, malgré les conseils de son ami qui voudrait le retenir : « en pro- vince comme ailleurs, on peut étudier, regarder la nature, penser avec élégance, couler une vie artiste. Cela vaut bien tous tes mirages et tes bâtons flottants ». Mais Marins, déjà, ne l'entend plus: c'est un déraciné.