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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/78

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CHAPITRE SIXIÈME

SUITE DE L’HISTOIRE DU SECOND CALENDER FILS DE ROI

À cette question, je revins un peu à moi.

— Rien ! répondis-je.

J’étais troublé, épuisé, comme renversé, et, surtout, j’étais honteux.

— Est-ce que vous m’aimez ?

— Non, lui dis-je.

Si elle m’avait fait la question inverse, je lui aurais probablement répondu de même, tant ma prostration était grande et mon esprit ahuri.

— Vous vous trompez, Conrad, me dit-elle ; vous m’aimez et c’est un grand malheur. Tâchez de prendre sur vous-même ; éloignez cette impression et ne me forcez pas à vous perdre ; car, moi, je vous aime, bien qu’autrement.

Il me descendit dans le cœur comme un rayon de joie. Je fus ravi de l’entendre me dire qu’elle ne m’aimait pas. Quel démon m’avait assailli ? À quelle tentation avais-je cédé ? La vérité était que je ne l’aimais pas du tout. Pourtant, maintenant que je me croyais en sûreté, après l’orage passé, quoique la tempête grondât encore, il m’eût été extrêmement pénible de me trop brusquement détacher d’elle, et, puisque, encore une fois, il n’y avait plus de