Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/207

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colporteurs et chantée sur les tréteaux, d’être partout renommé comme le plus actif et le plus étonnant des scélérats, et de faire l’entretien perpétuel des laquais et des servantes ; mais je n’étais ni un Érostrate, ni un Alexandre, pour que cette sorte de gloire me fît descendre au tombeau avec satisfaction. Et, pour parvenir à quelque chose de solide et de désirable, quelle chance pouvait m’offrir à présent de nouveaux efforts semblables aux premiers ? Jamais créature humaine avait-elle été poursuivie par des ennemis plus acharnés et plus ingénieux ? Quel espoir avais-je de voir cesser leur persécution ou d’être plus heureux dans mes tentatives ?

La résolution que je pris me fut dictée par d’autres considérations. Mon âme s’était insensiblement détachée et éloignée par degrés de M. Falkland avant d’en venir au point de l’abhorrer. J’avais été longtemps à nourrir pour lui dans mon cœur une vénération que son animosité contre moi et les persécutions que j’en essuyais n’avaient pu encore entièrement effacer. Mais actuellement, j’attribuai à la perversité de son caractère la barbarie opiniâtre de sa conduite ; je trouvai quelque chose d’infernal dans cet acharnement à me relancer au bout du monde, à me forcer, comme une malheureuse proie, jusque dans des tanières, et à vouloir, à tout prix, s’abreuver de mon sang, tandis que dans le secret de son âme il connaissait mon innocence, ma candeur, je pourrais dire même mes vertus. Dès lors, je foulai aux pieds mes premiers sentiments pour