Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/237

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posé à m’admettre volontiers pour son adjoint dans l’entreprise de civiliser les esprits rustiques des habitants du lieu. Quant au vicaire, il ne s’occupait guère de civilisation ; son affaire était de songer aux choses d’une meilleure vie, et non pas aux intérêts, charnels de ce bas monde… où, à parler vrai, ses vaches et ses avoines étaient le premier objet de ses pensées.

Cependant cette retraite m’offrit encore une autre famille chez laquelle peu à peu je devins un hôte intime. Le père était un homme de sens et d’esprit, qui s’était surtout occupé d’agriculture. La mère était une femme admirable et extraordinaire. C’était la fille d’un noble napolitain, qui avait joué un rôle distingué dans presque tous les pays de l’Europe. Il était venu finir ses jours dans ce village, après avoir eu ses biens confisqués et s’être fait bannir pour ses opinions politiques et religieuses. Comme Prospero dans la Tempête de Shakspeare, il s’était retiré avec sa fille unique dans un des coins les plus obscurs du monde. Bientôt après son arrivée, une fièvre maligne l’avait emporté en trois jours, et il n’avait laissé pour tout héritage que quelques bijoux avec une lettre de crédit peu considérable sur un banquier anglais.

Laura, sa fille, orpheline à l’âge de huit ans, était restée sur une terre étrangère, sans autre ami que le père de celui qui devint son époux. L’humanité seule l’avait attaché au Napolitain mourant, qui le nomma tuteur de sa fille, déterminé à cet acte de confiance par son air de bonté, et sachant tout juste