Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/243

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avait un avantage particulier pour moi, vu la situation où je me trouvais, c’est qu’avec un petit nombre de livres je pouvais me donner de l’occupation pour longtemps. J’achetai d’autres dictionnaires. Dans toutes mes autres lectures, j’avais soin de noter les divers sens dans lesquels les mots étaient employés, et ces remarques me servaient à éclaircir mes recherches étymologiques. Je travaillais avec une assiduité sans relâche, et mes matériaux grossissaient à vue d’œil. Ainsi je trouvai le moyen de distraire ma pensée du souvenir de mes tristes infortunes.

Dans cet état si doux et si analogue à la disposition de mon âme, les semaines s’écoulaient les unes après les autres sans trouble et sans alarmes. Ma situation nouvelle n’était pas très-différente de celle où j’avais passé mes premières années, avec cet avantage que mon esprit était plus orné et mon jugement plus mûr. Je commençais à regarder tout l’espace intermédiaire de ces deux époques comme le songe d’une imagination malade et souffrante, ou plutôt je me sentais dans le même état qu’un homme revenu à son bon sens, après six mois de transport et de délire, après les rêves les plus affreux et les plus horribles. Quand je repassais dans mon esprit les épreuves inouïes par lesquelles j’avais passé, cette idée n’était pas sans quelque satisfaction, comme le souvenir d’un mal qui n’est plus, et chaque jour ajoutait à l’espérance d’en être délivré pour jamais. Certainement les sombres menaces de M. Falkland étaient plutôt les suggestions du dépit