Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/255

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lement le courage de recommencer une tâche laborieuse : il n’est pas d’efforts qui coûtent plus que ceux dont le but est de reconquérir une position perdue. Je ne savais pas d’ailleurs si je ne serais pas encore bientôt obligé de quitter inopinément toute autre retraite que je viendrais à choisir, et, pour un état aussi incertain et aussi précaire, le travail que j’avais commencé entraînait un attirail trop volumineux et trop embarrassant. Il ne servait qu’à aiguiser les traits de la haine de mon ennemi et à aigrir ma continuelle souffrance. J’étais enfin accablé de me voir séparé de la famille de Laura. Insensé d’avoir pu croire qu’il y avait encore place pour moi sous un toit ami et paisible ! Pour la seconde fois je perdais ainsi tout espoir d’entretenir les purs sentiments d’une amitié fondée sur l’estime mutuelle. M. Collins avait autrefois été un ami auquel il m’avait fallu renoncer. Je ne voyais plus devant moi que solitude, séparation, éternel bannissement… Mots vides de sens pour la plupart des hommes, mais dont je n’éprouvais que trop la vaste signification. L’orgueil de la philosophie nous a appris à traiter l’homme comme un individu. Il ne l’est pas. Il tient nécessairement, indispensablement, à son espèce. Il est comme ces jumeaux qui naissent avec deux têtes et quatre mains ; mais, si vous tentez de les détacher l’un de l’autre, ils sont condamnés à languir dans une agonie mortelle.

Ce fut cette circonstance, plus que tout le reste, qui me remplit peu à peu le cœur d’aversion pour M. Falkland. Je ne pus bientôt plus prononcer son