Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/262

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le tyran et sa victime ! Sous le rapport de la fatigue corporelle, le chasseur est peut-être de niveau avec le misérable animal qu’il poursuit. Mais était-il possible que l’un ou l’autre de nous oubliât qu’à chaque poste où il me relançait, Gines satisfaisait son infernale malice, en semant sur mon compte les bruits les plus atroces et en excitant contre moi l’exécration de toutes les âmes honnêtes ; tandis que moi, mon rôle était de voir s’anéantir continuellement mon repos, mon honneur et mes moyens de subsistance ? Y avait-il quelque raffinement de ma raison qui pût convertir en une lutte d’intelligence et d’adresse cet affreux enchaînement d’infortunes ? Non, je n’avais pas une philosophie capable d’un effort aussi extraordinaire. Quand même, dans d’autres circonstances, j’aurais pu m’abandonner à une illusion aussi étrange, n’étais-je pas enchaîné ici par la nécessité de pourvoir à mon existence ? et dans les formes actuelles des sociétés humaines, comment mes efforts auraient-ils pu me dégager de cette dure nécessité ?

Dans l’un de ces changements de demeure auxquels ma destinée fatale m’obligeait sans cesse, il m’arriva de rencontrer sur une route qu’il me fallait traverser, mon premier, mon meilleur ami, le vénérable Collins. Par une de ces circonstances qui ont contribué à accumuler tant de misères sur ma tête, cet honnête homme avait quitté l’Angleterre quelques semaines seulement avant le déplorable incident qui fut le point de départ de tous mes malheurs. Outre les grands revenus qu’il possédait dans