Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IV.djvu/231

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jamais l’oublier, jamais la perdre. Oui, je porte envie même au corps du Seigneur, quand ses lèvres le touchent.

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Fort bien, mon ami ! Moi, je vous ai souvent envié les deux jumeaux qui paissent sous les rosés.

Faust. Puis, entremetteur !

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Bien ! Vous m’insultez et vous me faites rire. Le dieu qui créa les garçons et les filles légitima en même temps le trèsnoble métier de faire aussi naître l’occasion. Allons donc ! c’est un grand malheur ! Vous allez, je pense, dans la chambre de votre maîtresse, et non pas à la mort !

Faust.

Qu’est-ce que la joie du ciel dans ses bras ? Quand je me réchauffe contre son sein, est-ce que je ne sens pas toujours sa misère ? Ne suis-je pas le fugitif, le vagabond, le monstre sans but et sans repos, semblable au torrent qui mugit de rochers en rochers et court en fureur dans l’abîme ? Elle, à l’écart, avec des sens innocemment endormis, dans la cabane de son petit enclos alpestre, et toutes ses occupations ménagères renfermées dans ce petit univers ; et moi, l’ennemi de Dieu, il ne m’a pas suffi de saisir les rochers et de les réduire en poudre, il me fallait l’ensevelir elle-même avec son repos ! Enfer, il te fallait cette victime ! Viens, Satan, abréger pour moi le temps de l’angoisse ! Que ce qui doit arriver arrive sur-le-champ ! Que sa destinée s’écroule sur ma tête et qu’elle s’abîme avec moi !

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Comme il bouillonne encore ! Comme il se renflamme ! Viens, viens la consoler, pauvre fou ! Quand un de ces petits cerveaux ne voit point d’issue, il se figure aussitôt que tout est fini. Vive celui qui garde son courage ! Tu es cependant assez endiablé, et je ne vois rien de plus absurde au monde qu’un diable qui désespère.

LA CHAMBRE DE MARGUERITE.

MARGUERITE, seule.