Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IV.djvu/65

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me prépares-tu dans le fond de ton âme par ton silence ? Si c’est notre perte, alors fais-moi mourir la première. Car, maintenant qu’il ne nous reste plus aucun secours, je vois l’affreux danger dans lequel, de propos délibéré, j’ai plongé précipitamment ceux que j’aime. Hélas ! je les verrai enchaînés devant moi ! Avec quels regards pourrai-je faire mes adieux à mon frère, que j’assassine ? Je ne pourrai plus soutenir ses regards chéris,

THOAS.

Les fourbes ! Par un adroit mensonge, abusant une femme •longtemps recluse, qui croit aisément et volontiers ce qu’elle désire, ils l’ont enveloppée dans cette trame !

IPHIGÉNIE.

Non, ô roi, non ! Je pourrais être abusée, mais ils sont vrais et fidèles. Si tu les trouves trompeurs, fais-les périr et chassemoi, exile-moi, en punition de ma folie, sur le triste rivage d’une île de rochers. Mais, si cet homme est mon frère chéri, longtemps souhaité, laisse-nous partir, sois aussi bienveillant pour la sœur et le frère réunis que tu le fus pour moi seule. Mon père a succombé par le crime de sa femme et elle-même par son fils. La dernière espérance de la race d’Atrée repose sur lui seul. Permets que, le cœur pur et la main pure, je traverse les mers et purifie notre maison. Tu me tiendras parole !… Si jamais le retour chez les miens m’était ouvert, tu as juré de me laisser partir ; et maintenant il m’est ouvert. Un roi ne fait pas, comme le vulgaire, une promesse par contrainte, afin d’éloigner, pour un moment, celui qui l’implore ; il promet même pour le cas qu’il ne prévoit point, et il ne sent la grandeur de sa dignité que lorsqu’il peut rendre heureux celui qui attend l’effet de sa parole.

THOAS.

Comme l’eau se défend contre le feu, et, en écumant, cherche à étouffer son ennemi, la colère lutte dans mon sein contre tes paroles.

IPHIGÉNIE.

Oh ! laisse briller pour moi, comme la sainte lumière de la flamme paisible du sacrifice, la grâce, couronnée d’hymnes de reconnaissance et d’allégresse.