Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/122

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monde Ismaël. Abraham est âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans, et les prédictions d’une nombreuse postérité n’en sont pas moins répétées, tellement qu’à la fin les deux époux les trouvent ridicules. Et pourtant Sara finit par se trouver enceinte et met au monde un fils, qui reçoit le nom d’Isaac.

L’histoire repose en grande partie sur la propagation légitime du genre humain ; on est forcé de poursuivre jusque dans la secret des familles les plus graves événements historiques, et, par là, les mariages des patriarches nous conduisent aussi à des réflexions particulières. Il semble que les divinités qui se plaisaient à conduire les affaires humaines aient voulu nous offrir ici, comme dans un type, les événements de famille de tout genre. Abraham, qui a passé tant d’années dans une stérile union avec une femme belle et recherchée de beaucoup de gens, se voit, dans sa centième année, le mari de deux femmes, le père de deux fils, et, dès ce moment, la paix domestique est troublée. Deux femmes, à côté l’une de l’autre, comme deux fils de différentes mères, en présence l’un de l’autre, ne peuvent s’accorder. Le parti le moins favorisé par les lois, la coutume et l’opinion doit céder ; Abraham doit sacrifier son amour pour Agar, pour Ismaël. Ils sont congédiés tous deux, et Agar est obligée cette fois de prendre par contrainte le chemin qu’elle avait suivi dans sa fuite volontaire. C’est d’abord, semble-t-il, pour sa perte et celle de l’enfant ; mais l’ange du Seigneur, qui l’avait déjà rappelée, la sauve cette fois encore, afin qu’Ismaël devienne aussi le père d’un grand, peuple, et que la plus invraisemblable des prophéties s’accomplisse même au delà de ses limites.

Un vieux père, une vieille mère, un fils unique et tardif, cela semblait promettre enfin la paix domestique et le bonheur terrestre. Loin de là, les dieux préparent au patriarche l’épreuve la plus rude, mais nous ne pouvons en parler sans présenter d’abord diverses considérations. Si une religion naturelle universelle a dû prendre naissance, et une religion révélée particulière s’en développer, les pays où notre imagination s’arrête jusqu’à présent, le genre de vie, la race, y convenaient parfaitement : du moins nous ne voyons pas qu’il se soit produit dans le monde entier rien d’aussi favorable et d’aussi serein. La religion naturelle, si nous admettons qu’elle fût née auparavant dans le cœur humain, suppose déjà une grande délicatesse de sentiment, car elle repose sur le dogme d’une Providence universelle, qui règle en général l’ordre du monde. Une religion particulière, révélée par les dieux à tel ou tel peuple, suppose la foi à une Providence particulière, une foi que la divinité communique à certaines personne familles, tribus et nations favorisées. Cette religion ne peut guère émaner du cœur de l’homme, elle exige une tradition, un antique usage, la garantie des siècles. Il est beau, par conséquent, que la tradition israélite présente d’abord les premiers hommes, qui se confient en cette Providence particulière, comme des héros de la foi, qui obéissent à tous les ordres de cet Être suprême, dont ils se reconnaissent dépendante, aussi aveuglément qu’ils attendent sans se lasser, sans douter, le tardif accomplissement de ses promesses.

Comme une religion révélée, particulière, pose en principe qu’un homme