Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/36

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pugnance pour Gœttingue, à mon vif regret, car j’avais justement beaucoup de confiance dans cette université, sur laquelle j’avais fondé de grandes espérances. Il me disait ensuite que j’irais à Wetzlar et à Ratisbonne, à Vienne même, et de là en Italie, et pourtant il avait coutume de dire qu’il faut voir Paris auparavant, parce qu’en revenant d’Italie on n’est plus charmé de rien. Je me faisais redire volontiers cette histoire de ma jeunesse future, surtout parce qu’elle se terminait par une description de l’Italie et un tableau de Naples. La gravité et la sécheresse habituelles de mon père semblaient chaque fois se fondre et s’animer : ainsi se développait chez nous le désir ardent d’avoir aussi notre part de ce paradis.

Je partageais avec des enfants du voisinage les leçons particulières, dont le nombre augmenta peu à peu. Cet enseignement commun ne me profitait pas : les maîtres suivaient leur routine, et les sottises, parfois même les méchancetés de mes camarades répandaient le trouble, l’ennui et le désordre dans ces maigres leçons. Les chrestomathies, qui rendent l’enseignement agréable et varié, n’étaient pas encore parvenues jusqu’à nous. Cornélius Népos, si aride pour la jeunesse, le Nouveau Testament, par trop facile, et devenu même trivial par les sermons et l’instruction religieuse, Cellarius et Pasor ne pouvaient avoir pour nous aucun intérêt ; en revanche, une certaine fureur de rimer et de versifier s’était emparée de nous, à la lecture des poètes allemands. Elle m’avait déjà saisi auparavant, car, après avoir traité en prose mon sujet d’amplification, je trouvais amusant de le traiter en vers. Mes camarades et moi, nous avions une réunion tous les dimanches, où chacun devait produire des vers de sa composition. Là il m’arriva quelque chose de singulier, qui me donna très-longtemps de l’inquiétude. Mes poésies, quel qu’en pût être le mérite, devaient toujours me sembler les meilleures. Mais je remarquai bientôt que mes concurrents, qui produisaient des choses très-misérables, étaient dans le même cas et ne s’en faisaient pas moins accroire ; et même, ce qui me donnait plus encore à penser, un petit garçon de bon caractère, mais tout à fait incapable de ces travaux et qui avait d’ailleurs toute mon affection, se faisait faire ses vers par son gouverneur, et, outre qu’il les