Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/464

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et c’est de la mort de cet homme excellent que date une foule d’abus pernicieux.

Mais tous ces vices, anciens et nouveaux, découlaient de la source première et unique, d’un personnel insuffisant. Il était réglé que les assesseurs feraient leurs rapports dans une certaine série et d’après un ordre déterminé. Chacun pouvait savoir quand son tour viendrait et lequel de ses procès il aurait à exposer. Il pouvait y travailler, il pouvait se préparer. Cependant le malheureux arriéré s’amoncelait toujours : il fallut se résoudre à choisir les affaires les plus importantes et à les rapporter hors de tour. Le jugement de l’importance supérieure d’une affaire est difficile, quand il y a une foule de cas graves, et le choix prête à la faveur. Un autre écueil se présentait : le rapporteur fatiguait et lui-même et le tribunal avec une affaire difficile et embrouillée, et, à la fin, il ne se trouvait personne qui voulût retirer le jugement. Les parties avaient transigé, elles s’étaient accommodées, elles étaient mortes, elles avaient changé d’avis. On résolut donc de n’examiner que les affaires qui seraient rappelées par les intéressés. On voulait être assuré de leur persévérance, et, par là, on donna l’entrée aux plus grands désordres : car celui qui recommande son affaire doit la recommander à quelqu’un, et à qui la recommanderait-il mieux qu’à celui qui l’a dans les mains ? Tenir secret, selon l’ordonnance, le nom du rapporteur devenait impossible. En effet, au milieu de tant de subalternes qui le savaient, comment serait-il resté ignoré ? Quand on sollicite l’accélération, on peut solliciter aussi la faveur : car, par cela même qu’on presse la solution de sa cause, on montre qu’on la croit juste. On ne le fera peut-être pas d’une manière directe, mais assurément on le fera d’abord par des subalternes. Il faut les gagner, et voilà toutes les intrigues et les corruptions introduites.

L’empereur Joseph, de son propre mouvement et à l’imitation de Frédéric, dirigea d’abord son attention sur l’armée et sur la justice. Il porta ses regards sur la Chambre impériale. Les injustices traditionnelles, les abus introduits, ne lui étaient pas restés inconnus. Là aussi il y avait un mouvement, une secousse, à imprimer, une action à exercer : sans demander si c’était l’avantage de l’empereur, sans prévoir la possibilité d’un heureux succès, il proposa l’inspection et en précipita l’ouverture. Depuis cent soixante-six ans, on n’avait fait aucune inspection régulière ; un énorme fatras d’écritures était amoncelé et grossissait chaque année, les dix-sept assesseurs n’étant pas même en état d’expédier les affaires courantes. Vingt mille procès s’étaient accumulés ; on en pouvait régler soixante par année et il en survenait le double. Un nombre assez respectable de révisions attendait aussi les inspecteurs : on disait cinquante mille. D’ailleurs plus d’un abus gênait la marche de la justice. Mais, ce qui était plus grave que tout le reste, on entrevoyait dans le fond les malversations de quelques assesseurs.

Quand je dus me rendre à Wetzlar, l’inspection suivait son cours depuis quelques années ; les coupables étaient suspendus, l’information très-avancée ; et les hommes versés dans le droit public allemand ne voulurent pas laisser échapper cette occasion de montrer leurs lumières et