Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/487

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prétentions, étaient peu de son goût. Il donna tout de suite la préférence à une des amies de Charlotte, une beauté majestueuse, et, comme le temps lui manquait pour s’engager dans une liaison, il me fit des reproches amers de n’avoir pas offert mes hommages à cette femme superbe, qui se trouvait libre et sans attachement. Je ne comprenais pas mon avantage, disait-il, et il voyait encore ici, avec infiniment de regret, ma singulière manie de perdre mon temps.

S’il est dangereux de faire connaître à un ami les perfections de la femme qu’on aime, parce qu’il peut bien aussi la trouver charmante et digne de ses vœux, d’un autre côté, nous devons craindre aussi qu’il ne nous déconcerte par sa désapprobation. Il n’en fut rien cette fois : l’amabilité de Charlotte avait fait sur moi une impression assez profonde pour qu’il ne fût pas si facile de la détruire ; mais la présence de Merck, ses exhortations, hâtèrent ma résolution de quitter ce lieu. Il me présenta de la manière la plus attrayante un voyage du Rhin, qu’il était sur le point de faire avec sa femme et son fils, et il éveilla mon désir devoir enfin de mes yeux ces merveilles, dont la description avait souvent excité mon envie. Quand il se fut éloigné, je me séparai de Charlotte, la conscience plus libre qu’en me séparant de Frédérique, mais non pas sans douleur. Grâce à l’habitude et à l’indulgence, cette liaison était aussi devenue, de mon côté, plus passionnée qu’elle n’aurait dû l’être ; en revanche, Charlotte et son fiancé gardaient, avec sérénité, une telle mesure, qu’il ne se pouvait rien de plus beau et de plus aimable ; et la sécurité même qu’elle me donnait m’avait fait oublier tout péril. Cependant je ne pus me dissimuler que cette aventure touchait à sa fin, car on attendait d’un jour à l’autre la nomination de laquelle dépendait l’union du jeune homme avec l’aimable Charlotte, et, comme tout caractère un peu résolu sait se déterminer à vouloir lui-même ce qui est nécessaire, je pris la résolution de m’éloigner volontairement, avant d’être chassé par un spectacle que je n’aurais pu supporter.