Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ses premières habitudes. Après Rome, aucune grande ville ne lui aurait suffi : que devait lui paraître l’humble et tranquille Weimar !

Il avait formé à Rome le projet de vivre désormais uniquement pour les arts et les sciences, et il avait demandé la permission de résigner ses emplois. Charles-Auguste rendit généreusement la liberté à son ami, en l’autorisant toutefois à siéger au conseil (et même dans le fauteuil du prince) * quand ses affaires le lui permettraient. » Cependant Goethe conserva la présidence de la commission des bâtiments et la surveillance de tous les établissements consacrés aux arts et aux sciences, particulièrement de l’université d’Iéna et du théâtre de Weimar.

Depuis son voyage d’Italie on le trouvait plus froid et plus réservé. C’était l’effet de l’âge et de la méditation ; c’était aussi la conséquence de sa nouvelle situation. Il se sentait moins bien compris, et se retirait davantage en lui-même. Cependant il s’était fait, aussitôt après son arrivée, un grand mouvement autour de lui. Pendant les premières semaines, il avait donné beaucoup de temps à la cour. On voulait l’entendre parler de son voyage, et il était lui-même charmé d’en parler et de conter. Si, plus tard, il se renferma davantage, il fut toujours le même pour les hommes qui savaient le comprendre.

Une seule personne, à Weimar, avait à se plaindre de lui : c’était la baronne de Stein. Une longue absence avait refroidi la passion de Goethe. Il avait aimé en Italie. Mme de Stein avait quarantecinq ans. Il ressentait toujours pour elle, et il lui garda jusqu’à la fin, une tendre affection : mais c’était trop peu pour une femme qui s’était vue passionnément aimée, et, plus elle se montra offensée, plus elle rendit une rupture inévitable.

Avant d’en venir à cette extrémité, il s’était rendu avec elle à Roudolstadt, et il y rencontra Schiller, sur qui il ne fit pas une impression favorable. On verra dans les Annales que cet effet fut réciproque. L’auteur des Brigands ne pouvait attirer à lui son émule, revenu d’Italie avec les idées les plus sublimes et les plus pures sur la grâce et la beauté. Schiller éprouvait d’ailleurs un sentiment pénible en considérant combien la fortune avait favorisé son rival, quand il reportait ses regards sur sa propre situation, difficile et précaire. On lit avec regret l’expression de ces sentiments dans ses lettres à Kœrner. Voici ce qu’il lui disait le 2 février 1789 :

« Un commerce fréquent avec Goethe me rendrait malheureux…. Je le crois égoïste au suprême degré. Il a le talent d’enchaîner les hommes et de les obliger par de grands et de petits services, en restant toujours son maître. Il est bienfaisant, mais comme un dieu,