Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/13

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sans se donner lui-même. Aussi m’est-il odieux, quoique j’aime son esprit de tout mon cœur et que je l’admire. Enfin, il m’inspire un singulier mélange d’amour et de haine, et il éveille en moi un sentiment pareil à celui que Brutus et Cassius doivent avoir éprouvé pour César. »

Il devait plus tard apprendre à le mieux connaître ; il devait un jour aimer l’homme autant qu’il admirait l’auteur. Mais cette admiration était dès lors entière. « Je ne suis point à la hauteur de Goethe, disait-il àKœrner, quand il \eutdéployer toute sa force. 11 a plus de génie que moi, et, avec cela, plus de fonds et de connaissances : ajoute encore un goût éclairé et épuré par l’étude des arts. »

Et, là-dessus, Schiller fait de pénibles réflexions sur la différence de leur position extérieure : Goethe, l’eufantgâté de la fortune, et lui, l’homme de douleur et de travail.

Cependant, à cette époque, Goethe n’était point heureux. Il souffrait à se voir comme étranger dans sa patrie ; sa maison solitaire l’attristait ; il y rêvait douloureusement à Rome et à l’Italie. Il était dans ces dispositions mélancoliques quand, par un jour d’automne (1788), comme il se promenait seul dans le parc de Weimar, sa création chérie, il fut accosté par une fraîche et jolie jeune fille, qui lui présenta un placet, en lui faisant force révérences. H jette un coup d’œil à la belle solliciteuse, puis il parcourt la requête. Il était prié d’employer son influence en faveur d’un jeune écrivain, qui vivait à léna de traductions du français et de l’italien, et qui désirait un emploi. Ce jeune homme était Vulpius, l’auteur de Rinalilo Rinaldini1. Il n’est plus guère connu aujourd’hui que pour avoir été le frère de Christiane Vulpius, la jeune personne qui présentait le placet, et qui, après une longue intimité, devait être un jour la femme de Goethe.

Elle ne fut jamais sa servante, comme on l’a prétendu. Elle n’était pas sans culture. 11 put lui parler de ses travaux. C’est à elle qu’il s’adresse dans sa pièce intitulée : la Métamorphose des plantes’. Mais elle était loin d’une baronne de Stein, qui avait pu être la confidente des plus sublimes inspirations de l’homme de génie.

Christiane fut d’abord une amante chérie, qui se livra sans réserve à son amant. Jeune, fraîche, bien faite dans sa petite taille,


1. Roman très-populaire à cette époque, dans lequel les brigands jouent un grand rôle.

2. Tome I, page 308, et particulièrement la fin de celte poésie.