Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/120

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de malades, formant une colonne serrée, traversaient, entre les pavés amoncelés de part et d’autre, la ville, devenue un marais fangeux. Comme nous attendions ainsi un moyen de sortir d’embarras, notre hôte, le chevalier de Saint-Louis, passa près de nous sans nous saluer. La surprise que nous causa son apparition matinale et malgracieuse se changea bientôt en pitié : son domestique, qui marchait sur ses pas, portait un paquet attaché à un bâton, et nous comprîmes trop bien qu’après avoir revu ses foyers quatre semaines auparavant, il devait les abandonner, comme nous, nos conquêtes.

Je remarquai ensuite que ma chaise était menée par de meilleurs chevaux, et mon cher Paul m’avoua qu’il avait échangé contre du sucre et du café les premiers, qui étaient faibles et hors de service, mais qu’aussitôt après il avait réussi à s’en procurer d’autres par réquisition. C’était sans doute grâce à l’activité de l’adroit Liseur. Il réussit également à nous faire avancer. Il lança son cheval dans un intervalle et il arrêta la voiture qui suivait, jusqu’à ce que nos équipages à quatre et à six chevaux se fussent logés dans la file. Alors je pus respirer de nouveau le grand air dans ma légère calèche.

Nous allions d’un pas d’enterrement, mais enfin nous allions. Le jour parut, nous nous trouvâmes devant la ville dans la plus grande confusion du monde. Toutes les espèces de voitures, de rares cavaliers, d’innombrables piétons, se croisaient dans la grande place devant la porte. Nous prîmes à droite, du côté d’Étain, avec notre colonne ; nous suivions un chemin bordé de fossés de part et d’autre.

Dans cette presse effroyable, l’instinct de la conservation personnelle ne connaissait plus de pitié, plus de ménagements ; non loin de nous, un cheval tomba devant un chariot de bagages : on coupa les traits et on laissa le cheval gisant ; mais, les trois autres ne pouvant plus traîner la voiture, on coupa aussi leurs traits, on jeta dans le fossé la voiture pesamment chargée, et, après une très-courte halte, nous passâmes outre et par-dessus le cheval, qui essayait de se relever. Je vis distinctement ses jambes broyées sous les roues.

Cavaliers et piétons cherchaient à se sauver par les prés de cette route étroite et impraticable ; mais les prés étaient aussi