Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nouvelle des entreprises hardies et heureuses de Custine. Le grand magasin de Spire était tombé entre ses mains ; il avait su amener la reddition de Mayence. Ces progrès semblaient entraîner des malheurs sans terme ; ils annonçaient un esprit extraordinaire, à la fois conséquent et hardi, et tout devait être déjà perdu. Rien ne paraissait plus naturel et plus vraisemblable que de croire Coblenz aussi occupé par les Français. Et comment se ferait notre retour ? On regardait également Francfort comme perdu ; on voyait menacés, d’un côté, Hanau et Aschaffenbourg, de l’autre, Cassel, et que ne craignait-on pas encore ? Les princes voisins étaient paralysés par le malheureux système de neutralité ; la masse, possédée de l’esprit révolutionnaire, n’en était que plus agissante. Ne fallait-il pas, comme on ava’it travaillé Mayence, disposer aussi la contrée et les provinces limitrophes aux mêmes sentiments, et se hâter de mettre à profit ceux qui étaient déjà développés ? Tout cela, il fallait y penser et en discourir.

J’entendais souvent répéter : « Les Français auraient-ils fait des pas si décisifs sans de sérieuses réflexions, sans de grandes forces militaires ?» Les opérations de Custine paraissaient aussi hardies que prudentes ; on se représentait ce général, ses lieutenants, ses supérieurs, comme des hommes habiles, énergiques, conséquents. La détresse était extrême ; elle égarait les esprits : de toutes les souffrances, de toutes les inquiétudes qu’on avait senties jusqu’alors,.c’était sans contredit la plus grande.

Au milieu de ces maux et de ce tumulte, je reçus de ma mère une lettre attardée, qui me rappela vivement ma paisible jeunesse, ma ville natale et la maison paternelle. Nous avions perdu mon oncle Textor, l’échevin, dont la proche parenté m’avait exclu pendant sa vie de l’importante et honorable dignité de sénateur. Là-dessus, selon la louable coutume traditionnelle, on avait aussitôt pensé à moi, qui étais assez avancé parmi les gradués de Francfort.

Ma mère avait été chargée de me demander si j’accepterais une place de sénateur dans le cas où, ayant été mis au rang des candidats, la boucle d’or me serait échue. Cette proposition ne pouvait guère m’arriver dans un moment plus extraordinaire.