Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


J’étais troublé, refoulé en moi-même ; des images sans nombre se levaient devant moi et m’ôtaient la faculté de réfléchir. Comme un malade ou un prisonnier se laisse distraire par un conte, je fus transporté dans une autre sphère et un autre temps. Je me voyais dans le jardin de mon grand-père, où les espaliers couverts de pêches excitaient la convoitise du petitfils, si bien que la menace d’être chassé de ce paradis, l’espérance de recevoir de mon bienveillant aïeul le fruit le plus mûr, le plus vermeil, pouvait seule calmer un peu le désir jusqu’au terme final. Je voyais ensuite le vénérable vieillard occupé autour de ses rosiers, se garantissant prudemment des épines avec les gants de forme antique, tribut des villes affranchies du péage ; pareil au divin Laërtes, mais non comme lui accablé de langueur et de tristesse. Ensuite je le voyais dans son costume de maire, avec la chaîne d’or, trônant sur son siége, sous le portrait de l’empereur ; plus tard hélas ! ne se connaissant plus qu’à demi, couché quelques années dans son fauteuil de malade, et enfin dans le cercueil.

Dans mon dernier passage à Francfort, j’avais trouvé mon oncle en possession de la maison et du jardin ; en sage fils, semblable à son père, il s’éleva aux plus hautes dignités de la république. Dans le cercle intime de la famille, dans cette maison, toujours la même et dès longtemps connue, ces souvenirs d’enfance se réveillèrent vivement, et se présentèrent à moi avec une force nouvelle. Il s’y joignit d’autres idées de jeunesse, que je ne dois pas taire. Quel bourgeois d’une ville impériale pourra nier d’avoir eu, tôt ou tard, devant les yeux les charges de sénateur, d’échevin, de bourgmestre, et, selon ses talents, d’avoir visé avec ardeur et prudence à ces dignités, peut-être aussi à des emplois moins considérables ? Car la douce pensée de prendre part à un gouvernement quelconque s’éveille bien vite dans le cœur de tout républicain, et déjà avec plus de vivacité et d’orgueil dans l’âme du jeune garçon.

Je ne pus toutefois me livrer longtemps à ces doux rêves d’enfance ; trop tôt réveillé avec effroi, je considérai les lieux qui m’entouraient, ces lieux pleins de pressentiments, ces tristes environs, où je me sentais resserré’, ma ville natale aussi rn’apparaissait attristée, assombrie ; Mayence dans les mains