Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/158

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des autres nations agirent sur moi dans mes jeunes années. Je pouvais bien employer à mon usage les éléments étrangers, mais non me les assimiler: c’est pourquoi je pouvais tout aussi peu m’entendre avec les autres sur ce qui était étranger. Pour la production, j’offrais un phénomène aussi singulier : elle cheminait du même pas que ma vie, et, comme la marche de ma vie demeurait le plus souvent un mystère pour mes plus proches amis, on savait rarement se familiariser avec mes nouvelles productions, parce qu’on attendait quelque chose de pareil aux œuvres déjà connues.

Si j’avais échoué avec mes Sept frères, parce qu’ils n’avaient pas la moindre ressemblance avec leur sœur Iphigénie, je pus remarquer qu’avec le Grand Cophte, depuis longtemps imprimé, j’avais même blessé mes amis. On n’en fit pas mention, et je me gardai bien d’en parler. Cependant on m’avouera qu’un auleur qui est dans le cas de n’oser ni produire ses plus récents ouvrages ni en parler, doit se sentir aussi mal à son aise qu’un compositeur qui se verrait empêché de répéter ses plus nouvelles mélodies.

Je ne fus guère plus heureux avec mes méditations sur la nature. Personne ne pouvait comprendre la passion sérieuse avec laquelle je m’attachais à ces objets ; personne ne voyait comme cette passion naissait des entrailles de mon être ; on regardait ces louables efforts comme une erreur fantasque ; on estimait que je pouvais faire quelque chose de mieux, laisser mon talent suivre son ancienne direction. En cela mes amis se croyaient d’autant plus fondés, que ma manière de penser ne s’accordait pas avec la leur, qu’elle était même en général tout l’opposé. On ne peut se figurer un homme plus isolé que je l’étais alors et que je le demeurai longtemps. L’hylozoïsme (ûe dans les bois), ou comme on voudra l’appeler, auquel je m’attachais, et dont je laissais intacte, dans sa dignité et sa sainteté, la base profonde, me rendait inabordable et même rebelle à cette manière de penser, qui présentait comme article de foi une matière morte, laquelle était, d’une manière ou d’une autre, animée et stimulée. L’histoire naturelle de Rant m’avait appris, et je n’avais pas oublié, que les forces d’attraction et de répulsion sont essentielles à la matière, et que l’une ne peut être