Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/202

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être protégées par le parapet contre un boulet qui aurait porté bas.

C’était un amusant spectacle de voir ces jours-là la foule des paysans en toilette, arrivés souvent de l’église avec leurs paroissiens et leurs chapelets, remplir la redoute, regarder tout, jaser et folâtrer et, au cri de la sentinelle, se prosterner tous incontinent devant cette redoutable apparition, puis, le péril évanoui, se relever, se raillerà l’envi, pour se prosterner encore aussitôt qu’il plaisait aux assiégés. On pouvait très-commodément se procurer ce spectacle si l’on se plaçait sur la hauteur voisine, un peu en dehors de la direction du feu, ayant sous ses yeux cette singulière cohue, et à ses oreilles le sifflement des boulets.

Mais les projectiles qui franchissaient la redoute n’étaient pas perdus. Sur la croupe de ces collines passait la route de Francfort, en sorte qu’on pouvait très-bien observer deMayence la procession des carrosses et des chaises, des cavaliers et des piétons, et tenir à la fois en alarme la redoute et les promeneurs. Aussi, les chefs y ayant pris garde, l’entrée de cette multitude fut-elle bientôt défendue ; et les curieux de Francfort firent un détour afin d’arriver hors de vue et hors d’atteinte au quartier général.

S’il se trouve quelques lacunes dans mon récit, ce n’est pas une chose étonnante : chaque heure était féconde en malheurs ; à chaque moment on s’inquiétait pour son prince, pour ses amis ; on oubliait le soin de sa propre sûreté. Attiré par le péril affreux, sauvage, comme par le regard du crotale, on se préciptait sans mission dans les endroits dangereux ; on chevauchait dans les tranchées ; on laissait les obus éclater sur sa tête et les fragments fondre sur le sol autour de soi ; on souhaitait aux malheureux blessés une prompte délivrance, et l’on n’aurait pas voulu ressusciter les morts.

Si l’on réfléchit qu’un pareil état, où l’on s’exposait à mille morts pour étourdir son angoisse, dura près de trois semaines, on nous pardonnera de passer rapidement sur ces jours affreux comme sur une terre brûlante.

Le 1" juillet, la troisième parallèle fut en activité, et la batterie de Bock fut aussitôt bombardée. Le 2 juillet, bombarde-