Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/201

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vant cette redoute, tout était en mouvement ; des centaines de Français remontaient la rive en courant, et ils poussèrent un immense cri d’allégresse, quand cet aquatique cheval de Troie, entraîné par les flots du Mein loin du but assigné (la pointe de terre), s’avança doucement, irrésistiblement, entre le Mein et le Rhin. Enfin le courant entraîne vers Castel cette lourde machine. Là elle aborde, non loin du pont de bateaux, sur une plaine encore inondée par le fleuve. Les troupes françaises s’y rassemblent, et, comme j’avais observé jusque-là toute l’affaire avec une très-bonne lunette,j e vois encore, hélas ! s’abaisser la trappe qui fermait cet espace, et ceux qui s’y trouvaient pris en sortir pour entrer en<aptivité. C’était un douloureux spectacle. Le pont-levis n’arrivait pas jusqu’à terre : la petite garnison dut marcher d’abord dans l’eau avant d’atteindre le cercle de ses ennemis. Il y avait soixante-quatre soldats, deux officiers et deux canons. Les prisonniers furent bien reçus ; on les conduisit à Mayence, et, de là, dans le camp prussien pour être échangés. A mon retour, je ne manquai pas d’annoncer cet événement inattendu. Personne ne voulait le croire, comme je n’avais pas voulu moi-même en croire mes yeux. Le prince de Prusse se trouvait par hasard chez le duc : je fus appelé, et l’on me demanda de rapporter ce que j’avais vu. Je le Gs exactement, mais à regret, sachant bien qu’on impute toujours au messager une partie du malheur qu’il annonce.

Peu à peu l’affreuse calamité de Mayence était devenue pour le voisinage l’occasion d’une partie de plaisir. La redoute au delà de Weissenau, d’où l’on avait la vue la plus magnifique, était journellement visitée par des curieux, qui voulaient se faire une idée de la situation et observer ce qui se passait dans ce vaste cercle, étendu à perte de vue. Les dimanches et les jours de fête, cette redoute devenait le rendez-vous d’innombrables paysans accourus du voisinage. Elle était la moins exposée au feu des Français ; les coups tirés en l’air étaient très-incertains, et la plupart passaient par-dessus. Quand la sentinelle, qui allait et venait sur le parapet, voyait les Français mettre le feu aux pièces dirigées de ce côté, elle criait : « Baissez-vous ! » et soudain toutes les personnes qui se trouvaient dans la batterie se jetaient à genoux ou la face contre terre, pour