Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/205

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nombre de Mayençais émigrés, qui, pourvus de vivres, surent pénétrer d’abord dans les ouvrages extérieurs, puis dans la place, pour embrasser et restaurer leurs amis. Nous rencontrâmes beaucoup de ces ardents visiteurs, et la presse devint si grande, qu’enfin, après avoir doublé les postes, on défendit sérieusement d’approcher des remparts ; les communications furent tout à coup interrompues.

Le 23 juillet se passa à prendre possession des ouvrages extérieurs de Mayence et de Castel. Monté dans une légère voiture, je fis une promenade, en serrant la ville d’aussi près que les gardes me le permirent. On visitait les tranchées, et l’on observait les travaux de terrassement, inutiles et abandonnés depuis qu’on avait atteint le but.

Comme je revenais, un homme de moyen âge m’appela pour me prier de prendre dans ma voiture son petit garçon, enfant de huit à neuf ans, qu’il traînait par la main. C’était un émigré de Mayence, qui accourait, joyeux et empressé, de son dernier asile, pour assister en triomphe à la sortie des ennemis, et qui jurait mort aux clubistes. J’essayai de le modérer, et lui représentai que le retour à un état paisible ne devait pas être souillé par la guerre civile, la haine et la vengeance ; que ce serait éterniser le malheur. La punition des coupables devait être abandonnée aux augustes alliés et au légitime seigneur du pays après son retour. Enfin je lui présentai encore d’autres réflexions sérieuses et conciliantes, et j’en avais le droit, puisque je prenais l’enfant dans ma voiture, et que je les régalai tous deux d’un coup de vin et de petites pâtisseries. Je déposai l’enfant à une place convenue, tandis que le père était déjà loin et me faisait avec son chapeau mille signes de remerctments.

La matinée du 24 se passa assez paisiblement. La garnison tardait à sortir. Cela tenait, disait-on, aux affaires pécuniaires, qui ne pouvaient être sitôt résolues. Enfin, à midi, comme tout le monde était à dîner, et qu’un grand silence régnait dans le camp et sur la chaussée, plusieurs voitures à trois chevaux passèrent très-vite à quelque distance l’une de l’autre, sans qu’on y prit garde et qu’on fît là-dessus aucune réflexion : cependant le bruit se répandit bientôt que plusieurs clubistes s’étaient échappés de cette manière subtile et hardie. Des gens