Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/208

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occupés de la sortie régulière des Français. J’étais à la fenêtre avec M. Gorre. Une grande foule se rassembla au-dessous ; mais dans la place, qui était grande, rien ne pouvait échapper à l’observateur.

Nous vîmes approcher l’infanterie : c’étaient des troupes de ligne, des hommes alertes et bien faits. Des jeunes filles de Mayence partaient avec eux, les unes dans les rangs, les autres à côté. Leurs connaissances les saluaient avec des signes de tête et des propos moqueurs. « Hé ! Lisette, veux-tu aussi courir le monde ? » Et puis : « Tes souliers sont encore neufs ; ils s’useront bientôt. » Et après: « As-tu donc aussi appris le français depuis qu’on ne t’a vue ? Bon voyage ! » Et voilà comme elles passaient par les verges. Elles semblaient toutes joyeuses et rassurées ; quelques-unes disaient adieu à leurs voisines ; la plupart étaient silencieuses et regardaient leurs amants.

Cependant la foule était très-émue ; on proférait des insultes, accompagnées de menaces. Les femmes blâmaient les hommes de laisser partir ces misérables, qui emportaient sans doute dans leurs nippes le bien de quelque honnête bourgeois de Mayence : la démarche sévère des soldats, les officiers qui bordaient les rangs pour maintenir l’ordre, empêchaient seuls une explosion. L’agitation était effrayante.

Dans le moment le plus dangereux, arriva une troupe qui sans doute aurait voulu être déjà bien loin. Un bel homme, presque seul, s’avançait à cheval ; son uniforme n’annonçait pas précisément un militaire ; à son côté chevauchait une femme vêtue en homme, très-belle et bien faite ; ils étaient suivis de quelques voitures à quatre chevaux, cliargées de coffres et de caisses. Le silence était menaçant. Tout à coup des murmures éclatent dans la foule et l’on crie : « Arrêtez-le ! tuez-le ! C’est le coquin d’architecte qui a pillé le doyenné et puis y a mis le feu 1 » II ne fallait qu’un homme résolu, et la chose était faite.

Sans faire d’autre réflexion, sinon qu’il ne fallait pas que la sûreté publique fût compromise devant le logement du duc, et songeant tout à coup à ce que le prince et général dirait, en rentrant chez lui par-dessus les débris de cette vengeance personnelle, je descends à la course, je sors et, d’uoe voix impérieuse, je crie : « Arrêtez ! » Déjà la foule s’était amassée. Nul