Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/209

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n’avait osé baisser la barrière, mais la foule barrait le passage Je crie encore : « Arrêtez ! » Il se fait un profond’ silence. Je poursuis en termes énergiques et vifs. C’était ici le quartier du duc de Weimar, la place était sacrée ; s’ils voulaient commettre des désordres et exercer leur vengeance, ils trouveraient assez de place ailleurs. Le Roi avait accordé la libre sortie : s’il y avait mis des conditions, s’il avait excepté certainespersonnes, il aurait placé des surveillants, rappelé ou arrêté les coupables. Mais on ne savait rien de pareil ; on ne voyait aucune patrouille. Pour eux, quels qu’ils fussent, ils n’avaient, au milieu de l’armée allemande, d’autre rôle à jouer que de rester tranquilles spectateurs ; leur infortune et leur haine ne leur donnaient ici aucun droit, et, une fois pour toutes, je ne souffrirais à cette place aucune violence.

La foule, surprise, restait muette ; puis l’agitation, les murmures, les insultes recommencèrent. Quelques-uns s’emportent, deux hommes s’avancent pour saisir à la bride les montures des cavaliers. Par un singulier hasard, l’un d’eux élait le perruquier que j’avais exhorté la veille, tout en lui rendant service. « Eh quoi ! lui criai-je, avez-vous déjà oublié nos discours d’hier ? N’avez-vous pas réfléchi qu’on se rend coupable en se faisant justice soi-même ? que nous devons laisser à Dieu et à nos supérieurs la punition des criminels, comme on doit leur laisser aussi le soin de mettre fin à cette calamité ? » J’ajoutai encore quelques paroles brèves et serrées, mais d’une voix haute et vive. L’homme, qui me reconnut sur-le-champ, recula ; l’enfant se pressa contre son père et m’adressa un gracieux regard. La foule s’était retirée et avait laissé la place et le passage libres. Les deux personnes à cheval semblaient embarrassées. Je m’étais assez avancé dans la place : le cavalier vint à moi et me dit qu’il désirait connaître mon nom et savoir à qui il était obligé d’un si grand service. Il ne l’oublierait de sa vie et serait heureux de le reconnaître. La belle dame s’approcha également et me dit les choses les plus obligeantes. « Je n’ai fait que mon devoir, répondis-je, en maintenant la sûreté de cette place, » et puis je leur fis signe de s’éloigner. La foule, déconcertée dans ses projets de vengeance, resta immobile. A trente pas de là, personne ne l’aurait arrêtée. Ainsi va le