Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/215

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parlâmes de mille choses, et il dut aussi entendre un exposé de ma doctrine des couleurs. Je trouvai en lui un auditeur sévère et bienveillant ; mais il était prévenu en faveur de la théorie d’Euler ; d’ailleurs je ne pus lui présenter assez d’expériences pour me rendre tout à fait intelligible.

Voyant donc la difficulté de l’entreprise, je lui montrai un mémoire que j’avais rédigé pendant le siége, et dans lequel j’exposais comment une société d’hommes de toute sorte pourraient travailler ensemble et, chacun de son côté, concourir au progrès d’une si vaste et si difficile entreprise. Je réclamais le concours du philosophe, du physicien, du mathématicien, du peintre, du mécanicien, du teinturier, et que sais-je encore I Il écouta fort patiemment l’idée générale ; mais, quand je voulus lui lire le traité en détail, il refusa de l’entendre et se moqua de moi. Je serais, dit-il, jusque dans mes vieux jours un enfant et un novice, de me figurer que quelqu’un prît intérêt à ce qui m’intéressait moi-même ; qu’on voulût approuver une œuvre étrangère et la faire sienne ; qu’une action commune, une coopération quelconque, fût possible en Allemagne.

Il s’exprima sur d’autres sujets encore comme sur celui-là ; j’en fus douloureusement affecté, et, le vieil homme se réveillant chez moi, je me jetai dans les assertions hasardées, les paradoxes, l’ironie. Schlosser se défendit vivement, et notre amie ne savait plus que faire de nous deux. Sa médiation nous empêcha du moins de précipiter notre départ, mais nous nous séparâmes cependant plus tôt que nous ne l’avions présumé.

Je passerai sous silence mon séjour à Francfort et le reste de mon voyage. La fin de l’année et le commencement de la suivante ne nous annoncèrent que les excès d’une nation égarée et en même temps enivrée de ses victoires. Et moi aussi, j’allais changer de genre de vie. Le duc de Weimar quitta le service de Prusse après la fin de la campagne. L’affliction du régiment fut grande ; officiers et simples soldats, tous gémirent : ils perdaient à la fois un chef, un prince, un conseiller, un bienfaiteur, un père. Je dus également me séparer tout à coup d’hommes excellents, avec lesquels j’étais étroitement lié. On ne se quitta pas sans verser des larmes. Nous étions réunis par le respect pour un homme, un chef unique, et l’on crut se