Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

reproduisit. Il ne m’est resté aucun exemplaire de l’original non plus que de la contrefaçon.

Mon précédent voyage dans le Bas-Rhin m’avait rapproché de Frédéric Jacobi et de la princesse Gallitzin1, mais nos relations eurent toujours quelque chose de singulier, qu’on ne peut guère expliquer qu’en faisant connaître ce qu’était alors en Allemagne toute la classe instruite ou plutôt qui commençait à s’instruire. Il s’était levé sur l’élite de la nation une lumière qui promettait de la dégager des liens d’une pédanterie vaine, stérile et dépendante. Beaucoup de personnes étaient animées à la fois du même esprit ; elles reconnaissaient leurs mérites respectifs ; elles s’estimaient les unes les autres ; elles sentaient le besoin de s’unir, se recherchaient, s’aimaient, et cependant aucune véritable union ne pouvait se former. L’intérêt moral que tous avaient en vue était vague, indéterminé, et, dans l’ensemble comme dans le détail, on manquait de direction pour les activités particulières. Aussi le grand cercle invisible fut-il rompu et divisé en sociétés plus petites, le plus souvent locales, qui produisirent des choses dignes d’éloges ; mais celles qui marquaient s’isolèrent de plus en plus. C’est là ce qu’on a vu arriver de tout temps aux époques de réveil, et nous trouvons ici dans l’histoire littéraire un exemple de ce qu’on voit si souvent répété dans l’histoire politique et dans celle de l’Église.

J’avais alors pour hôte mon ancien ami de Rome, Henri Meyer. Nos souvenirs et la poursuite de nos études italiennes étaient le sujet ordinaire de nos conversations. Mais tout effort que nous faisons en l’absence de l’objet pour le saisir ne sert qu’à nous égarer et nous faire sentir l’insufu’sance du souvenir, et c’est aussi ce qui nous arriva. Qui donc.a vécu en Italie, même d’une vie moins sérieuse, sans désirer toujours d’y retourner ?

Cependant la lutte intérieure à laquelle j’étais livré depuis que j’avais commencé mes travaux scientifiques n’était pas encore apaisée, parce que la manière dont je procédais dans l’observation de la nature réclamait toutes les forces de mon esprit. Au milieu de ce pénible conflit, tous mes désirs, toutes mes’ espérances, furent dépassés par mes relations avec Schiller, qui


1. Voyez plus haut, pages 114 et 135.