Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/28

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canons n’ont pas fait peur. » Elle lui recommanda son pays, elle défendit son époux, et, par son calme et son courage, elle amena le conquérant irrité à des sentiments plus doux. Il ne pardonnait pas au duc de s’être allié avec les Prussiens, et il lui déclara plus tard que, s’il l’épargnait, c’était en considération de la duchesse.

Aujourd’hui, Charles-Auguste n’a pas besoin d’excuses. Il avait suivi la politique nationale, et l’on sympathise pleinement avec le poète, lorsqu’il justifie son prince par ces éloquentes paroles : « Je suis, dit-il, naturellement disposé àvoir les choses avec calme, mais j’entre en fureur dès que je vois qu’on demande aux hommes l’impossible. Que le duc ait secouru de sou argent des officiers prussiens dépouillés de leur solde ; qu’il ait avancé quatre mille écus à l’héroïque Blûcher après le combat de Lubeck, vous appelez cela une conjuration ! Vous en faites un crime à Charles-Auguste ! Supposons qu’aujourd’hui ou demain votre armée éprouve un revers ; que penserait l’Empereur d’un général ou d’un feld-maréchal qui ne ferait pas exactement ce qu’a fait notre duc ? Je vous le dis, le duc doit agir comme il agit. Il doit agir ainsi. Il aurait grand tort d’agir autrement. Et quand il devrait pour cela perdre ses Etats, son sceptre et sa couronne, comme son ancêtre, le malheureux Jean, il ne doit pas s’écarter d’un point de ces nobles sentiments et du devoir imposé à l’homme et au prince en pareille circonstance. Le malheur ! Qu’est-ce que le malheur ? C’est un malheur, sans doute, qu’un prince doive éprouver chez lui un pareil traitement de la part de l’étranger. Et quand il serait réduit à la même extrémité que Jean, son ancêtre, que sa chute et son malheur seraient certains, cela ne me troublerait point. Un bâton à la main, je veux, comme autrefois Lucas Cranach, suivre mon seigneur dans sa misère, rester fidèlement à son côté. Les enfants et les femmes qui nous rencontreront dans les villages diront, en versant des larmes : « C’est le vieux « Goethe et l’ancien duc de Weimar, que l’empereur des Français « a dépouillé de son trône, parce qu’il était resté fidèle à ses amis « dans le malheur ; parce qu’il a visité au lit de mort le duc de c Brunswick, son oncle ; parce qu’il n’a pas voulu laisser mourir « de faim ses vieux compagnons d’armes. »

En disant ces mots, il pleurait à chaudes larmes, et, après avoir fait une pause, il s’écria : « Je chanterai pour lui gagner du pain. Je me ferai chanteur de foire, et je mettrai notre malheur en chansons. Je visiterai tous les villages, toutes les écoles, où le nom de Goethe peut être connu. Je chanterai l’opprobre des Allemands, et les enfants apprendront par cœur mon chant d’opprobre, jusqu’à ce