Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/301

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

résumé » de nos plaisirs et de nos peines de tant d’années, de notre bonne harmonie et des mésintelligences qui la troublèrent. J’avais ouï dire qu’après la représentation d’Eugénie, Herder s’était exprimé sur cet ouvrage de la manière la plus favorable. Cela me fit espérer un rapprochement, qui m’aurait rendu mon œuvre doublement chère.

Nous étions alors à léna, logés tous deux au château, et nous échangions des visites polies. Un soir, il se rendit chez moi, et commença par me dire avec calme et netteté le plus grand bien de ma pièce. En même temps qu’il développait l’ouvrage en connaisseur, il y prenait comme ami un profond intérêt, et, comme un tableau nous charme souvent davantage, reflété dans une glace, il me sembla que, de cette heure seulement, j’avais moi-même bien connu l’ouvrage et l’avais parfaitement senti. Mais cette intime et douce jouissance ne fut pas longue, car Herder finit par une boutade qui, pour être gaiement exprimée, n’en était pas moins extrêmement déplaisante, et qui effaça, du moins pour le moment, l’impression de l’ensemble. Je fus saisi d’une sorte d’horreur. Je le regardai, je ne répondis rien, et je vis avec effroi comme résumées dans ce symbole les longues années de notre intimité. Nous nous séparâmes, et je ne l’ai jamais revu.

L’hiver était venu avec toute sa violence ; les routes étaient couvertes de neige ; on ne pouvait franchir la Schecke, hauteur escarpée devant léna. Mme de Staël était toujours plus pressante ; mes affaires étaient terminées, et je résolus de retourner à Weimar. Mais, cette fois encore, je ressentis les fâcheux effets de mon séjour au château. Je revins avec un fort catarrhe, qui me retint quelques jours au lit et quelques semaines dans ma chambre. Une partie du séjour de cette femme illustre fut donc pour moi de l’histoire. Nos communications commencèrent par des billets, puis vinrent les tête-à-tête et les réunions en trèspetit comité. Et c’était peut-être le meilleur moyen d’apprendre à la connaître et aussi de me faire connaître d’elle, autant que la chose était possible.

Sa personne avait du charme aussi bien que son esprit, et elle