Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/308

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litait une exposition générale tournée en action, qui aurait fait connaître la véritable situation du moment.

Mon bailli était un de ces tyrans de joyeuse humeur, qui poursuivent leurs desseins sans s’émouvoir ni s’embarrasser de rien ; qui d’ailleurs, aimant leurs aises, veulent vivre et laisser vivre ; qui, par fantaisie, font, dans l’occasion, des choses ou indifférentes ou de nature à produire de bons comme de mauvais effets. On voit par ces deux portraits que le plan de mon poème avait de part et d’autre quelque chose de libre, qui permettait une marche mesurée, très-convenable au poème épique. Les vieux Suisses et leurs fidèles représentants, lésés dans leurs biens, leur honneur, leurs personnes et leur considération, devaient pousser les passions morales à la fermentation intérieure, au mouvement et enfin à l’éclat, tandis que ces deux figures se trouveraient en présence et agiraient directement l’une sur l’autre.

Ces pensées et ces images m’avaient beaucoup occupé et formaient déjà un ensemble bien mûri, mais elles me souriaient sans que le désir me vînt de passer à l’exécution. La prosodie allemande, en tant qu’elle imitait la métrique des anciens, au lieu de se régulariser, devenait toujours plus problématique ; les hommes qu’on reconnaissait pour maîtres dans cet art et ce mécanisme étaient en lutte et même en hostilité. Les points douteux en devenaient plus incertains encore. Et moi, quand j’avais quelque projet, il m’était impossible de songer d’abord aux moyens ; il fallait que je les eusse déjà à ma disposition, sinon le projet était aussitôt abandonné.

J’avais souvent parlé à Schiller de cet objet ; je lui représentais vivement ces monts escarpés, la rude vie des pâtres, si bien que ce thème dut se construire chez lui à sa manière. A son tour, il me communiqua ses vues ; je ne perdais rien à un sujet qui n’avait plus pour moi l’attrait de la nouveauté, et je le lui abandonnai formellement, comme j’avais fait auparavant les Grues d’Ibycus et bien d’autres. Ce que j’ai dit plus haut, comparé avec le drame de Schiller, montre avec évidence que tout lui appartient, et qu’il me doit uniquement l’impulsion et une vue plus vivante du sujet que la simple légende n’eût pu la lui fournir.