Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/310

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sans cela, j’aurais perdues dans les douleurs et l’impatience. Par un heureux hasard, il arriva dans ce temps à Weimar un Français nommé Texier, qui savait lire gaiement et spirituellement la comédie, en changeant de voix, de manière à imiter les acteurs de Paris. 11 donna plusieurs soirées à la cour, qui admira son talent. Il me fut à moi particulièrement utile et agréable ; en effet, ce Molière, dont je faisais le plus grand cas, à qui je consacrais quelque temps chaque année, pour éprouver une fois de plus et renouveler mon admiration bien sentie, je pus l’entendre par la voix d’un compatriote, qui, lui-même, admirateur d’un si grand génie, rivalisait avec moi dans l’expression de ses sentiments pour ce poète.

Pressé par la date du 30 janvier, Schiller travaillait assidûment à Phèdre, qui fut en effet représentée ce jour-là, et qui, à Weimar, comme ailleurs dans la suite, fournit à d’excellentes comédiennes l’occasion de se signaler et de développer leur talent.

Deux incendies, qui éclatèrent à quelques nuits de distance, et qui menacèrent tous deux mon domicile, me rejetèrent dans les souffrances contre lesquelles je luttais. Schiller était retenu chez lui par les mêmes chaînes. Nous ne pouvions nous voir, et nous échangions des billets. Ceux qu’il m’écrivit en février et en mars attestent ses souffrances, son activité, sa résignation, et le déclin toujours plus marqué de ses espérances. Au commencement de mai, je hasardai de sortir ; je le trouvai sur le point de se rendre au théâtre, et je ne voulus pas y mettre obstacle ; un malaise m’empêcha de l’accompagner, et nous nous séparâmes devant sa porte pour ne plus nous revoir. Dans l’état de souffrance physique et morale où je me trouvais, personne n’osait m’apporter dans la solitude la nouvelle de sa mort. Il nous quitta le 9 et tous mes maux redoublèrent.

Quand j’eus retrouvé ma fermeté, je cherchai une grande occupation, capable de me distraire, et ma première penséefut d’achever Démétrius. Depuis que Schiller avait projeté cet ouvrage, nous en avions souvent débattu le plan. Durant son travail, Schiller aimait à discuter le pour et le contre avec lui-même et avec ses amis ; il se fatiguait aussi peu d’entendre des opinions étrangères que de tourner les siennes en tous sens. J’avais donc